Droits humains en Colombie (22 février 2016)

ACDV_EDIT_(ESP)_17-01-2016_Derechos_humanos_en_Colombia_-_pic_2Source : La Otra Cara

Auteur : Sixto Alfredo Pinto

Le 22 février 2016 (publication originale en espagnol : le 17 fevrier 2016)

Traduction : Guillermo Uria

Contribution : David Bertet

Les défis de la Cour Suprême en 2016

La Cour Suprême fait face à un défi majeur : celui de démontrer son impartialité et de changer l’image négative de la justice dans notre pays.

La plus haute autorité judiciaire en Colombie doit se prononcer les cas liés à la « para-politique » (ensemble des activités politiques entretenant des liens avec les groupes paramilitaires), tels que ceux de l’ex-gouverneur Luis Alfredo Ramos, avec des faux témoins, de l’ex-sénatrice Piedad Zuccardi, avec des témoins sous induction, et de l’ex-représentant Oscar Arboleda, entre autres…

La Cour Suprême de Justice de la Colombie a démontré auparavant sa capacité à surmonter les affrontements idéologiques internes de ses membres, les intérêts personnels et politiques de certains juges, et surtout la pression externe provenant des médias et des organisations qui ont influé sur son jugement dans le passé.

Le renouveau de certains juges permet entre autres davantage d’efficacité, ce qui amène la Cour à reconnaître certaines erreurs et à corriger par la suite les anomalies des autres entités judiciaires.

Luis Alfredo Ramos

En 2016, la Cour fera face à des défis de taille pour démontrer qu’elle est un organisme impartial et pour changer l’image de la justice dans notre pays. Elle devra par exemple se prononcer sur le cas de l’ancien Gouverneur d’Antioquia, Luis Alfredo Ramos, faisant l’objet de mesures de sûreté depuis le 5 septembre 2013, à cause des liens présumés avec des organisations paramilitaires.

Ramos, ancien maire de Medellin, est en détention préventive depuis 860 jours, sans aucune résolution de sa situation juridique jusqu’à présent. Son procès est encore en suspens, ce qui a amené le Procureur Général de la Nation à qualifier sa détention de « disproportionnée et injuste ».

Ce dossier est rempli d’éléments controversés depuis la découverte de faux témoins, comme c’est le cas de l’informateur clé du procès Carlos Enrique Areiza, qui a reconnu les accusations de fraude procédurale et de faux témoignage du Ministère public à son encontre ; ces accusations ont été possibles grâce aux enquêtes et la persistance de l’avocat-défenseur de Ramos Luis Gustavo Moreno, également activiste contre les faux témoignages. Areiza, un homme de 34 ans, s’est par la suite rétracté de ses déclarations contre l’ex-Gouverneur Ramos. Conformément à l’enquête menée par un procureur de l’Unité de contrôle des faux témoins, Areiza avait déclaré devant la Cour Suprême que le dirigeant « uribiste » d’Antioquia avait rencontré à plusieurs reprises les leaders des brigades d’autodéfenses, Ernesto Baez et Vicente Castaño Gil, ce qui s’est avéré totalement faux.

Piedad Zuccardi

La Cour doit également se pencher sur le cas de l’ex-sénatrice du parti de la U, Piedad Zuccardi, accusée d’avoir entretenu des présumés liens avec les paramilitaires de la Côte. Zuccardi aura bientôt atteint les trois années de détention provisoire, sans que sa situation juridique n’ait été définie, la Cour Suprême n’ayant pas encore initié son procès. La leader politique s’est présentée devant la justice au mois de février 2013, après l’émission d’un mandat d’arrêt à son endroit.

La Cour Suprême a reporté dix fois l’ouverture du procès contre Zuccardi pour divers motifs.  

Zuccardi affirme son droit à la liberté en raison de ce que les conditions pour débuter son procès, telles qu’établies par la Loi colombienne, sont désormais échues, argument mis de l’avant dans son mémorial datant du mois de juin 2015:

« 2 ans, 4 mois et 22 jours de détention provisoire se sont écoulés depuis le 23 février 2013, jour où je me suis livrée à la justice. J’ai le droit à la liberté conformément au paragraphe 5 de l’article 365 du Code de Procédure Pénale, dû à l’échéance des termes ».

Au cours des procédures contre l’ancienne membre du Congrès, des cas de témoins pressionnés par les propres enquêteurs de la police ont été découverts. Ces enquêteurs avaient agi dans le but de présenter des preuves accablantes aux juges, et ainsi obtenir une condamnation rapide pour l’accusée.  

Les témoins principaux contre Zuccardi, deux anciens paramilitaires de Côte des Caraïbes, connus sous les pseudonymes « Néver » et « Juancho Dique », eux-mêmes auteurs de dizaines d’assassinats, ont par la suite affirmé devant la justice ne pas la connaître. « Néver » a demandé pardon à l’ex sénatrice lors d’une diligence judiciaire enregistrée Sur vidéo. À cette occasion, il a dénoncé avoir été victime de pression de la part des enquêteurs, qui lui ont montré des photos de Zuccardi pour qu’il déclare qu’elle se réunissait avec des paramilitaires dans une région du département de Bolivar, en échange ils lui offraient de ne pas être retiré du programme « Justice et Paix » et de débuter un procès éclair en vue de sa libération.  

L’avocat de l’ex-sénatrice, William Adan Rodriguez, a présenté plusieurs recours et demandé aux juges d’accepter une série de preuves tendant à l’innocence de Zuccardi, prérogatives garanties par les normes nationales, qui consacrent le droit à la défense et à la régularité des procédures. Les juges de la Chambre Pénale ne lui ont cependant pas accédé à ses requêtes légitimes.

Zuccardi est la leader politique colombienne qui compte le plus long temps de détention provisoire en attente de la fermeture de l’enquête.  

Óscar Arboleda

Ajoutons à ce qui précède le cas de l’ex-représentant du Congrès, Oscar Arboleda, qui est en détention préventive depuis plus de 850 jours, sans que sa situation judiciaire n’ait été définie. L’ancien membre du Congrès d’Antioquia fut arrêté en septembre 2013, accusé lui aussi de para-politique. Son avocat Jose Strusberg assure qu’il n’y a aucune preuve qui relie son client à un supposé accord électoral qui aurait été passé avec les groupes d’autodéfense du département d’Antioquia.

Arboleda, ancien membre du Parlement, a déjà été sommé à comparaître en justice. Son défenseur cherche à obtenir l’absolution de son client, en faisant valoir qu’à l’étape de collecte des preuves, aucun témoignage de la part des membres du groupe paramilitaire ne relie son client aux allégations formulées à son encontre.

« Aucun des leaders paramilitaires ne relie le Docteur Oscar Arboleda à la promotion des activités des groupes paramilitaires », précise son avocat. En outre, il argumente que la Cour ne prit pas en considération les 70 preuves écrites et témoignages en faveur de l’ancien membre du Congrès. « C’est triste parce qu’aucune des preuves semble convaincre la Cour », précise-t-il.

La défense a confirmé que l’ex-représentant avait rencontré des représentants des groupes paramilitaires à quatre occasions, mais a aussi précisé qu’il s’agissait de rencontres effectuées dans le cadre de ses fonctions en tant que président de la Commission pour la Paix du Congrès.

« Il a déjà rencontré des paramilitaires ; si je ne me trompe pas, il les a contactés en quatre occasions parce qu’il était le président de la Commission pour la Paix du Congrès, et sa fonction en tant que président de la Commission était de répondre aux appels à résoudre le conflit, peu importe si cela provenait de l’État-major qui négocie avec les brigades d’Autodéfense, du gouvernement national, ou du Commissaire de la paix », affirme la défense.  

Au cours de cette année, la Cour Suprême devra ainsi se prononcer sur ces trois cas, ainsi que plusieurs autres, qu’il s’agisse de sanctions ou d’absolutions, et devra démontrer que le système de justice en fonctionne correctement en Colombie. À cet égard, notons que les détentions préventives vont clairement à l’encontre des droits de l’homme et des citoyens.