Affaire Judith Brassard (1 avril 2017)

Source: Le Soleil
Auteure: Elisabeth Fleury
1er avril 2017

 

Affaire Judith Brassard : la justice enquête sur de faux témoignages

Le Procureur général de la Colombie a ouvert une enquête sur des allégations de faux témoignages dans le procès de la Québécoise Judith Brassard, qui croupit dans une prison de ce pays d’Amérique du Sud depuis 2008 pour un crime qu’elle jure ne pas avoir commis.

« L’unité spécialisée dans les faux témoignages de la Fiscalía General de la Nación a accepté de se pencher sur le dossier. Il n’y a pas encore eu de mise en accusation, mais c’est une bonne nouvelle » se réjouit en entrevue au Soleil le président de l’association En Vero (anciennement l’Association canadienne pour le droit et la vérité ACDV), David Bertet, qui s’intéresse de près à l’affaire Brassard depuis 2015.

Basée à Montréal, l’association de M. Bertet travaille en étroite collaboration avec un organisme colombien, Fondejusticia y Verdad, pour obtenir la libération de Judith Brassard. « Les choses ont beaucoup avancé», affirme, optimiste, le président d’ En Vero

Judith Brassard purge une peine de 28 ans de prison pour avoir présumément commandité le meurtre de son mari colombien, Felipe Rojas, un orthodontiste membre d’une famille riche et influente de Santa Marta qui a été assassiné à la sortie de son cabinet le 4 décembre 2006. 

 

Longue saga

Le couple s’est marié à Québec au milieu des années 90, pour ensuite s’installer à Santa Marta, où ils ont eu deux enfants. Au moment du meurtre, Judith Brassard était retournée vivre au Canada, d’où elle avait entrepris des procédures de divorce. Devant les supplications de sa belle-famille, Mme Brassard a accepté de rester en Colombie après les funérailles. C’est là que son calvaire a débuté.

Deux des quatre personnes arrêtées pour le meurtre, la femme de ménage de Felipe Rojas, Katerine Pitre, et son mari, John Osorio, ont accusé la Québécoise d’avoir commandé l’assassinat de son mari par un appel téléphonique le 3 décembre 2006. Judith Brassard sera arrêtée et incarcérée le 28 août 2008.

En cour, le couple a allégué que Judith Brassard voulait mettre la main sur l’assurance-vie du défunt et avoir la garde des enfants. Pitre et Osorio se sont toutefois rétractés plus tard, déclarant sous serment que la femme n’avait jamais été impliquée dans le meurtre de son mari. Un registre d’appels téléphoniques déposé en preuve a en outre démontré qu’Osorio n’avait jamais discuté avec Mme Brassard la veille du meurtre, comme il l’avait déclaré au cours de son interrogatoire.

 

Aucune preuve

Malgré les rétractations du couple, la justice nord-colombienne, reconnue pour sa corruption, a décidé de ne pas écarter leurs faux témoignages et a condamné la mère de famille à 28 ans de prison le 24 février 2010.

En 2012, l’ombudsman colombien a publié un rapport dans lequel il affirmait qu’il n’existait aucune preuve que Judith Brassard avait joué un rôle dans le meurtre de son mari. Ce qui n’a pas empêché la Cour suprême de Colombie de confirmer le verdict de culpabilité de la Québécoise l’année suivante.

En entrevue à l’émission Enquête de Radio-Canada, en 2014, le tueur à gages embauché pour tuer Felipe Rojas, Gabriel Ramirez Polo, a lui aussi assuré que Judith Brassard n’avait pas commandité le meurtre. Il a affirmé avoir voulu tout révéler à son procès, mais ne pas l’avoir fait après avoir été menacé de voir sa peine alourdie. 

Selon l’association En Vero, Ramirez Polo aurait été assassiné en janvier 2016 alors qu’il bénéficiait d’une première permission de sortie de trois jours. 

 

Victime d’un coup monté ?

Pour les défenseurs de Judith Brassard, il ne fait pas de doute que la Québécoise a été victime d’un coup monté et qu’elle n’a pas eu droit à un procès juste et équitable. L’association En Vero déplore que des pistes n’aient pas été explorées, comme si la cause avait été entendue d’avance.

« On va présenter de nouveaux éléments de preuve devant la justice colombienne », indique David Bertet, sans les dévoiler. Si l’identité du véritable commanditaire du meurtre reste encore à prouver et les motifs, à éclaircir, M. Bertet a bon espoir de voir Judith Brassard libérée. 

« La chaîne colombienne Caracol Television a récemment diffusé un reportage qui a suscité beaucoup de réactions favorables à Judith sur les réseaux sociaux. Il y a beaucoup de Colombiens qui s’identifient à elle, qui ont vécu eux aussi des injustices. On a réussi à renverser la tendance. Pour eux, ce n’est plus Judith Brassard la coupable », se réjouit M. Bertet.

Mais pas pour la famille de Felipe Rojas, qui a tout fait pour que Judith Brassard soit condamnée et qui continue de tout faire pour empêcher sa libération. « Pas besoin de plus de preuves, elle était la seule qui ne l’aimait pas, elle lui a volé de l’argent, elle voulait lui voler ses enfants, et elle lui a été infidèle », a écrit sur Twitter la sœur de Felipe, Maria, accusant « l’ONG canadienne [En Vero] de payer des témoins pour la sortir de prison ». 

 

La Québécoise confiante

Selon David Bertet, qui a rencontré Judith Brassard l’été dernier et qui est en contact régulier avec elle, la mère de famille « va bien ». « Son moral est assez bon, elle sait où on s’en va et ça la rassure. Je la sens confiante et enthousiaste, elle a la certitude que son innocence sera reconnue », dit-il.

 

Qui est Judith Brassard ?
  • Originaire de Dolbeau, Judith Brassard a gradué en enseignement de la musique et du chant à l’Université Laval
  • L’auteure, compositrice et interprète est aujourd’hui âgée dans la fin quarantaine
  • Elle a épousé Felipe Rojas à Québec en août 1994
  • Judith Brassard a enseigné la musique et le chant dans un collège privé de Santa Marta, en plus de produire un disque, AMAME
  • Lors de son bref retour au Canada, en 2006, elle s’est établie à Montréal, où elle a là encore enseigné dans un collège privé