Affaire Yarold Leyte Quintanar (4 juillet 2016)

Yarold Christian Leyte QuintanarSource : Blog expediente

Auteur : Ignacio Carvajal

Le 4 juillet 2016 (Publication originale en Espagnol le 9 mai 2016)

Traduction : Rodrigo Mendoza

Assistant traduction : David Bertet


Une mère vivra de nouveau le 10 mai prochain en pleurant l’absence de son fils, vilement inculpé par les autorités de Veracruz.

 

Accusé en lien avec l’assassinat d’une femme, Yarold Christian Leyte Quintanar a été incarcéré au pénitencier de Tuxpan par le procureur de l’époque, Amadeo Flores Espinoza, aujourd’hui dirigeant provincial du PRI (Parti Révolutionnaire Institutionnel). Après quatre ans d’emprisonnement à Tuxpan, un juge a décidé d’écarter les éléments de preuve à décharge qui auraient pu innocenter l’accusé. Une confession de celui-ci avait été obtenue après dix heures de torture infligée par des membres de l’AVI (Agence d’investigation de Veracruz). Le recours en appel contre la sentence de 32 ans de prison est maintenant entre les mains de celui qui n’est autre que le propre fils du procureur, le juge Amadeo Flores Villalba. L’Association Canadienne pour le Droit et la Vérité (ACDV) intercède en faveur de l’accusé.

 

Il y a de cela quatre ans, Yarold Christian Leyte Quintanar a été détenu à Veracruz (Mexico), puis inculpé pour l’assassinat de María Teresa Gonzalez González, dont la dépouille avait été trouvée abandonnée dans une maison située en face du domicile de Leyte Quintanar. La famille de celui-ci, ainsi que l’ACDV, dénoncent les irrégularités dans l’arrestation de Leyte Quintanar : la capture s’est effectuée sans mandat judiciaire, la première déclaration ministérielle de l’accusé s’est faite dans assistance ni représentant légal. La mère de l’inculpé, Rosalinda Quintanar, affirme que la confession a été obtenue après dix heures de torture sur les lieux même du bureau du procureur de l’État de Veracruz par des membres de la police locale, alors sous le commandement de celui qui officie désormais comme président du Comité Régional du PRI, organisme-clé  pour son rôle dans l’élection de l’actuel gouverneur de Veracruz M. Hector Yunes Luanda.  

« Nous avons présenté des preuves solides qui démontrent que mon fils n’a rien à voir avec ce meurtre, y compris des documents en provenance d’employés du Ministère Public ; mais les autorités n’en ont pas tenu compte. À l’inverse, les enquêteurs ont inculpé mon fils ne s’appuient sur aucune preuve tangible, et n’ont comme base de leurs accusations que sa confession arrachée sous la torture », déclare Rosalinda Quintanar, dans un entretien téléphonique avec Blog Expediente.  

La famille de la victime María Teresa González Gonzalez, qui travaillait comme conseillère financière pour l’entreprise “Compartamos Banco”, avait signalé la disparition de leur proche le 28 février 2012. La dernière nouvelle qu’ils avaient eue d’elle était qu’elle avait rendu visite à plusieurs clients de la banque dans le secteur de Valle Alto, à quelques vingt minutes de l’aéroport de la cité de Veracruz. Son corps sans vie fut découvert le 2 mars à l’intérieur d’une habitation délabrée au 232 rue Flamingo, dans le quartier de Valle Alto.

Selon le compte-rendu de l’investigation, l’AVI a été mise sur la piste de l’auteur de l’homicide par un appel anonyme en date du 14 mars, signalant que le criminel habitait en face du lieu où le corps de la victime avait être trouvé. Une fois sur les lieux, les policiers ont cogné à la porte du domicile de Leyte Quintanar. C’est alors que celui-ci aurait tenté de se sauver. Selon le rapport, l’accusé aurait admis avoir tué la victime au moment de sa détention. Il était également en possession du téléphone portable ainsi que d’autres effets ayant appartenu à la défunte. Le détenu a admis avoir utilisé la carte de débit de la victime pour faire des achats et divers paiements le jour suivant le crime. Leyte Quintanar a confessé avoir tué María Teresa González Gonzalez parce qu’elle voulait le forcer à payer une dette de 30.700 pesos mexicains. Le jour du crime, elle est allée au domicile de Quintanar pour réclamer le montant de la dette. S’en est suivie une dispute sur la rue. Incommodé par la présence des voisins, Leyte Quintanar a invité la victime chez lui pour trouver arrangement pour le paiement. Une fois entrés, la dispute s’est poursuivie. Leyte Quintanar lui a fait une prise, ils sont tombés alors à terre. María Teresa a donné un coup de pied à une table en verre qui s’est brisée, des morceaux s’incrustant dans les corps des deux opposants. La victime est finalement morte étouffée, une blessure à l’abdomen laissant sur le sol il y a une flaque de sang de quelques 12 cm de diamètre. Leyte Quintanar a donné un récit similaire lors de la reconstitution des faits a été similaire. Toujours selon le rapport de l’AVI, au lieu d’appeler une ambulance, Yarold Quintanar est resté assis pendant cinq heures, attendant le lever du jour pour laisser le corps de sa victime dans une maison abandonnée en face de sa résidence. Il a ensuite révisé les biens de la victime, gardant pour lui une clé USB, du maquillage, de l’argent en liquide et des cartes de crédit, qu’il a ensuite utilisés après pour acheter divers articles. Telle est la version officielle.

De son côté, la mère de l’inculpé affirme que son fils a eu les yeux bandés et les pieds et mains liés, qu’il a d’abord reçu de décharges électriques aux mamelons et aux testicules et souffert de mauvais traitements physiques durant plus de cinq heures. Ce n’est qu’après ces souffrances endurées que les policiers lui ont demandé pourquoi il avait tué María Teresa González Gonzalez. Yarold Christian Leyte Quintanar n’était au courant que de certains faits du drame qui s’était produit quelques jours plus tôt et qu’il avait appris par les nouvelles. Mais les policiers insistaient, lui répétant qu’il figurait sur la liste des débiteurs de “Compartamos Banco » à qui il devait une somme de 30.000 pesos. Après cinq heures à souffrir le martyre, on lui a amené son femme. Les policiers se sont assurés qu’il puisse l’observer à distance, puis on l’a conduite au même lieu de réclusion aux installations du Ministère Public sur le Port de Veracruz. C’est alors que Leyte Quintanar a écouté et reconnu les hurlements et supplications de son épouse en train de se faire battre par les membres de l’AVI, afin de le faire céder et qu’il confesse.

Le moment le plus éprouvant est survenu lorsqu’un agent de l’AVI lui a placé un pistolet dans l’œil et l’a menacé en lui disant : « Confesse ou on va impliquer ta femme et à tes enfants aussi. » (Langage grossier intraduisible)

C’est ainsi que Yarold Christian Leyte Quintanar a finalement confessé. Depuis le mois de mars 2012, il se trouve reclus au pénitencier de Tuxpan. Les documents de l’enquête sont passés par les mains d’Amadeo Flores Espinosa, à l’époque procureur pour le Ministère Public. En janvier 2016, Leyte Quintanar a reçu une sentence de 32 années de prison. Si cette condamnation a été contestée en appel, il faut savoir que ce recours sera traité par le magistrat Amadeo Flores Villalba, fils d’Amadeo Flores et secrétaire de l’ex-gouverneur Javier Duarte de Ochoa, et ce malgré un évident conflit d’intérêt et le probable manque d’impartialité des juges en pareilles circonstances. Pendant ce temps, Rosalinda Quintanar voit les années s’écouler sans que justice ne soit faite pour son fils.

Dans l’enquête de l’AVI, avec comme numéro de référence : 55 2012-VII devant la cour n. 1 du tribunal de première instance de Veracruz, les autorités ont conclu que María Teresa González González est décédée des suites d’un étouffement survenu à l’intérieur de la maison de Leyte Quintanar.

« J’ai trouvé un expert privé qui a trouvé une série d’inconsistances, et dont l’analyse concluait par l’écartement de la thèse de la participation de mon fils. Un expert du Ministère Public a quant à lui établi dans son rapport qu’il y avait d’importantes distorsions entre la confession de mon fils, la reconstruction des faits et l’analyse, par le médecin légiste, de la scène du crime », déclare la mère de l’inculpé, en faisant référence au rapport émis le 15 mars 2012 par l’expert légiste Andrés Sanchez Castillo, deux jours après la détention de Leyte Quintanar, et dont Blog expédiente dispose d’une copie.

Pour résumer, ce rapport soutient que :

1.- “Il a été impossible d’établir une correspondance entre le récit selon lequel une blessure aurait été produite sur le corps de la victime par un morceau de verre provenant de la table en verre à l’intérieur de la résidence de l’inculpé, et la blessure qui a causé la mort de María Teresa González González. En effet, la mort de Maria Teresa a été causée par une arme tranchante, la blessure mortelle était profonde et d’une longueur de 25 cm. Cette arme a touché et sectionné des organes vitaux qui ont été exposés ». 

2.- “La narration de l’inculpé ne cadre pas avec les résultats de l’expertise. Celui-ci affirme dans sa « confession » avoir commis les faits à l’intérieur de son domicile et avoir bougé le corps de la défunte après quatre heures. Pourtant, la trace de sang est à peine de 10 à 20 cm de diamètre. En revanche, dans le lieu où le cadavre a effectivement été découvert, il y avait une flaque hématique qui atteignait de 10 à 20 cm de long. Ce qui permet de conclure que le lieu de la découverte est aussi le lieu où les faits ont été commis.

Autre élément qui démontre que la version officielle correspond à une mise en scène par les agents policiers sous la responsabilité d’Amadeo Flores est la déclaration de Paul Hernández Duran, gérant de « Compartamos Banco » ; celui-ci signalait le 16 avril 2012 que « Yarold Christian Leyte Quintanar n’avait pas des dettes avec l’institution ; il s’ensuit que Mme. María Teresa González González n’était pas censée effectuer de démarches de recouvrement auprès de lui ». On peut aussi se rendre compte à la lecture du dossier complet que María Teresa González González avait récemment reçu des menaces de mort. Cette piste d’enquête n’a absolument pas été suivie par les autorités.

Parmi les preuves qui innocentent l’inculpé, notons l’absence de registre d’appels vers le téléphone cellulaire de la victime. Aucune des images captées par les caméras de surveillance des magasins où le prétendu agresseur aurait utilisé la carte de la victime pour effectuer divers achats ne concordent avec le physique de Leyte Quintanar ; aucun des reçus ou factures signées ne supportent les affirmations du personnel de l’AVI et la supposée confession de l’accusée obtenue sous la torture. En clair, une absence totale de preuve directe.  À ceci s’ajoute l’absence, dans le dossier juridique de l’accusé, d’information en lien avec l’analyse des traces de sang supposément retrouvées sur le sol de la maison de Leyte Quintanar, qui aurait déclaré avoir nettoyé le sang et jeté les morceaux de verre brisés aux déchets ; aucun rapport concernant l’arme avec laquelle la victime a été poignardé ne figure au dossier.

Yarold Leyte Quintanar a dû attendre un mois avant que les autorités ne permettent à sa mère de le visiter au pénitencier de Tuxpan, visite qui ne fut autorisée que par les efforts de la part de groupes de défense des droits humains. Les instances gouvernementales ont de leur côté refusé de répondre adéquatement aux demandes répétées de réalisation du Protocole d’Istanbul sur Yarold Leyte Quintanar, protocole destiné à confirmer ou, le cas échéant, infirmer les allégations de torture.

Le cas de Yarold Leyte Quintanar est représenté par l’ONG Association Canadienne pour le Droit et la Vérité (ACDV), qui lutte dans plusieurs pays contre la fabrication des coupables.

“Malgré des nombreuses inconsistances et irrégularités qui entachent l’enquête, Yarold a été privé de liberté pendant quatre ans, victime d’accusations de meurtre qui s’appuient uniquement sur une confession obtenue sous la torture, et en l’absence de quelque preuve physique que ce soit qui permettrait d’établir la responsabilité pénale de l’accusé », peut-on lire à le document élaboré par l’ACDV. En août 2015, l’Association avait adressé au Juge de première instance du District Judiciaire de Tuxpan, Luis Alberto Cobos Hernández, un recours d’amicus curiae en faveur de la libération de Leyte Quintanar, document dans lequel étaient résumées et étayées chacune des violations aux règles de procédure et l’ensemble des incohérences et irrégularités dans l’enquête menée par l’AVI. Les auteurs du rapport insistaient également pour que la supposée confession de Yarold Leyte Quintanar, arrachée après des heures de torture qui ont laissé chez la victime de graves séquelles physiques et psychologiques, ne soit pas prise en compte au moment du jugement. Ce recours a tout simplement été ignoré par le juge.

« Si l’on souhaite que le récent projet de loi gouvernementale sur la torture, qui en train d’être rédigé à l’heure actuelle, soit suivi de véritables changements, les responsables de torture devront être punis. Sinon, il ne s’agira que d’une autre promesse en l’air pour les milliers de personnes victimes d’actes de torture au Mexique », est-il écrit dans le dernier rapport d’Amnistie International, lequel établit que le 64% « des habitants du Mexique affirment ne pas se sentir à l’abri d’être un jour torturés ». Dans le même rapport, il est mentionné que « des policiers et des soldats violent, battent, étouffent et électrocutent des hommes et des femmes, pour obtenir des confessions de la part de ces derniers. » 

Depuis 2015, Veracruz est dans la ligne de mire de la Commission Nationale des Droits Humains en lien avec les cas de disparitions forcées, pour lesquels la participation des autorités locales sous l’égide du gouvernement de Javier Duarte de Ochoa a été clairement établie. Cette année, l’ONG Miguel Agustín Pro Juarez a confirmé que Claudia Medina Tamariz, détenue par la Marine et, elle aussi, obligée à s’incriminer en tant que présumée membre d’un groupe criminel organisé, avait été martyrisée et abusée sexuellement. Si Claudia Medina Tamariz a, plus tard, été innocentée, son histoire met en évidence les pratiques illégitimes employées par la SEMAR dans l’opération « Veracruz Seguro », mise en place par le gouvernement de Duarte officiellement pour pallier à l’incapacité de la police locale pour combattre la délinquance.

Si l’innocence de Yarold Leyte Quintanar est un jour reconnu, le dossier de María Teresa González González viendra s’ajouter aux statistiques concernant l’impunité à Veracruz, qui compte parmi les chiffres les plus hauts pour ce qui est des délits commis contre des femmes, selon Aracely Gonzáles Saavedra, présidente d’Equifonía AC, organisation pour la défense des droits des femmes. Gonzáles Saavedra affirme qu’entre 2012 et le mois d’août 2015, 161 feminicides ont été recensés, parmi lesquels 55% se trouvent toujours officiellement sous enquête ; des 45% des cas restants, on compte seulement sept condamnations, ce qui met en évidence qui est plus que jamais urgent d’adopter des mesures pour mettre un terme aux violences contre les femmes et leur garantir accès à la justice